Pourquoi il est si difficile de partir

Lorsque l’on entame la conversation sur la traite des personnes, et plus particulièrement sur la traite à des fins d’exploitation sexuelle, il convient de dissiper très tôt trois mythes. Premièrement, le mythe selon lequel la traite des personnes est un crime international, nécessitant le franchissement d’une frontière. Deuxièmement, le fait que toute traite commence par un enlèvement. Enfin, que la traite des personnes n’arrive qu’aux filles.

En réalité, au Canada, la traite des personnes est souvent un crime relationnel et de nombreux(ses) survivant(e)s ont déclaré que leur trafiquant était un ami, un membre de la famille ou un partenaire intime. La traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle commerciale concerne le plus souvent des personnes qui vivent au Canada. Même si la majorité des cas de traite des personnes signalés à la police concerne des femmes et des survivant(e)s s’identifiant comme femmes, des hommes et des garçons peuvent également être victimes de la traite.

Des survivants, des défenseurs et des alliés ont remarqué des tendances concernant la façon dont la traite se déroule au Canada et la manière habile avec laquelle les trafiquants opèrent pour maintenir leur pouvoir et leur contrôle. Il est important de noter que les expériences des victimes et des survivants diffèrent et que toutes les situations de traite ne sont pas identiques ; la traite de personnes en provenance de l’étranger vers le Canada peut être différente, tout comme la traite à des fins de travail forcé et la traite perpétrée par un parent/un tuteur. Par souci de clarté, cet article fait principalement référence à la traite sexuelle domestique [traite qui se produit à l’intérieur des frontières du Canada à des fins d’exploitation sexuelle commerciale] par quelqu’un d’autre qu’un parent ou un tuteur.

* Ce poste examine l’expérience d’une personne à travers les différentes étapes de la traite dans le cas où la personne s’identifie comme victime, survivante ou ni l’un ni l’autre. L’exploitation n’est pas linéaire et il vaut mieux éviter d’étiqueter l’expérience d’une personne comme telle. Tout au long de ce poste, nous utilisons le terme “individu” ou “victime potentielle” pour désigner une personne qui a été leurrée, conditionnée ou recrutée à des fins de traite ou qui est victime de la traite. Le terme trafiquant est également utilisé et fait référence à une personne de sexe masculin ou de sexe féminin. Chaque expérience individuelle de la traite est unique et cet article pourrait ne pas refléter ces expériences individuelles.

Les défenseurs de la lutte contre la traite et les personnes ayant une expérience dans ce domaine ont décrit la traite sexuelle domestique comme se déroulant par étapes. Bien que le nombre d’étapes et le temps passé à chaque étape puissent varier en fonction de l’expérience de chaque individu, les tendances sont souvent transférables. La première étape est souvent appelée “leurre“. À ce stade, le trafiquant est très attentif aux individus qui l’entourent, en ligne ou en personne, afin d’identifier avec qui il pourrait établir une relation, dans un but d’exploitation. Un trafiquant peut rechercher un individu qui semble déconnecté de son groupe de pairs ou de ses proches, ou qui traverse peut-être une période difficile de sa vie. Le trafiquant peut alors engager une conversation avec cet individu, en personne ou en ligne, et recueillir autant d’informations que possible à son sujet et au sujet de son entourage. Les trafiquants savent comment tirer parti du bien-être émotionnel d’une personne dès le début d’une relation, créant ainsi des liens solides. Le trafiquant cherchera vraiment à comprendre le vécu de cette personne.

À ce stade, le trafiquant commence à faire la transition vers une autre étape de la relation, connue sous le nom de “conditionnement“. Sur la base des conversations entre le trafiquant et l’individu, le trafiquant s’efforce de lui offrir tout ce qu’il veut ou ce dont il a besoin à ce moment-là ; cela peut être des invitations à des fêtes, un lieu d’appartenance, un foyer, l’accès à de la drogue ou de l’alcool, une sécurité financière ou même la promesse de la vie dont rêve sa victime. Le trafiquant peut commencer à utiliser les informations qu’il a apprises afin de promouvoir un certain ensemble d’actions qui ne sont pas conformes aux valeurs de l’individu et aux limites qu’il avait établies avant la relation. Souvent, la relation entre le trafiquant et la victime potentielle est établie avec un certain secret, car “d’autres personnes ne comprendraient pas”. Le trafiquant cherche à créer un isolement et une distance, et peut encourager l’individu à se détacher des autres personnes présentes dans sa vie. Cela peut prendre l’allure d’une monopolisation du temps de la victime ou de la création d’un conflit entre la victime potentielle et ses proches.

Le trafiquant peut alors commencer à utiliser la contrainte et la manipulation, ce qui implique des tactiques plus manifestes, comme le retrait de certaines parties du rêve qu’il avait initialement présenté (relation, besoins fondamentaux, substances, argent) afin d’obtenir ce qu’il veut. Pour encourager l’individu à participer à des actes sexuels à des fins commerciales, le trafiquant peut également présenter une dette qu’il prétend que la victime a accumulée ou il peut prétendre que la dette était préexistante mais qu’elle constitue le seul obstacle entre l’individu et ses rêves futurs. Le trafiquant peut également recourir à la violence, à la honte, à l’intimidation ou au chantage en utilisant des images sexuelles ou des images d’abus sexuels dans le but d’obtenir ce qu’il veut.

À ce stade, l’individu peut se sentir à court d’options, c’est le début de la phase d’exploitation. Le trafiquant peut d’abord demander à l’individu de participer à des actes sexuels à des fins commerciales comme une activité de “courte durée” ou même comme une “faveur unique”. Le trafiquant commettra souvent des abus économiques en prenant les revenus de la victime et en mettant éventuellement en place des quotas de revenus. L’intimidation et les menaces peuvent également être utilisées par le trafiquant, par exemple, il peut menacer de faire du mal à la personne ou à ses proches pour assurer le contrôle de la victime et l’empêcher de le dénoncer. Cependant, la violence physique n’est pas toujours utilisée, car la victime peut croire que cette situation est temporaire et qu’elle travaille ensemble avec le trafiquant pour atteindre un objectif commun.

Ces étapes peuvent être parcourues très rapidement, en à peine quelques heures, ou peuvent prendre plusieurs semaines ou même plusieurs mois. Ces étapes ne sont pas non plus linéaires : un trafiquant pourrait sembler revenir à son identité au stade du conditionnement, après avoir exploité la victime. Le processus peut donc créer beaucoup de sentiments contradictoires pour la victime à l’égard du trafiquant. L’individu peut avoir l’impression d’avoir eu le sentiment de pouvoir “choisir”, ce qui peut créer un sentiment de honte et empêcher la dénonciation. L’isolement inculqué par le trafiquant empire également au fur et à mesure que l’exploitation se produit, ce qui renforce souvent le sentiment de désespoir par rapport à la situation dans laquelle la personne pourrait se retrouver si elle quittait le trafiquant. L’individu peut aussi continuer à voir le trafiquant comme quelqu’un qu’il aime et dont il se soucie profondément, et la rupture du lien entre lui et le trafiquant peut lui donner le sentiment de trahir.

 

Le processus de la traite est méthodique et planifié pour maximiser le contrôle, créer une division, éviter les poursuites judiciaires et assurer un gain financier. La traite est une activité complexe et les réponses à la traite doivent être bien fondées sur cette complexité. Si vous avez été victime de la traite des personnes ou si vous prodiguez des soins à une personne qui en a été victime, n’hésitez pas à appeler la Ligne d’urgence canadienne contre la traite des personnes au 1 833 900-1010. Quelle que soit votre expérience, ce n’est pas de votre faute et la Ligne d’urgence est à votre disposition pour vous aider à accéder à du soutien et à des services, sans jugement.

Ressource additionnelle

La roue du pouvoir et du contrôle (en anglais), qui a été adaptée par Polaris à partir d’un outil existant sur la violence domestique [Duluths Wheel], est une autre ressource qui peut aider à clarifier ce que les victimes et les survivant'(e)s éprouvent face à un trafiquant, ce qui peut les empêcher de se sentir capables de partir

 

Sources

https://www.ontario.ca/page/human-trafficking

https://www.lawc.on.ca/wp-content/uploads/2018/04/Youth-Package-Phoenix.pdf

http://www.womenssupportnetwork.ca/pdf/WSN_educators%20manual%20for%20youth%20menu.pdf

http://media.wix.com/ugd/cb3288_c604d397196d44e58b91e52ba182f08f.pdf